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UN DIVORCE

binet de lecture, il s’approcha du pas d’un homme qui vient de se heurter à un obstacle inattendu :

— « La bibliothèque est fermée, mademoiselle, » lui dit-il. Et comme la jeune fille, surprise par la nouvelle, ne pensait pas à s’étonner qu’un habitué de l’endroit en avertît un autre habitué, l’amoureux ajouta : « Il y a eu un malheur cette nuit. La personne qui tenait le bureau… »

— « Mme Barillon ?… » interrompit la jeune fille. « Elle est morte ?… » Lucien fit signe que oui, et le visage de l’étudiante, si réfléchi et si calme d’ordinaire, s’altéra d’un coup. Ses traits laissèrent deviner la sensibilité passionnée qu’elle se tendait sans cesse à masquer. Elle eut des larmes au bord des yeux, quoique la vieille dame ne fût pour elle qu’une connaissance de hasard, et avec qui elle causait si peu. Elle se dompta d’ailleurs aussitôt, et elle exprima une réflexion d’un ordre tout technique : — « Je l’avais prévu depuis longtemps. Elle souffrait d’une angine de poitrine arrivée au dernier période. »

— « On ne s’en serait guère douté à la voir, elle avait l’air si gai !… » interrogea Lucien, pour continuer la conversation.

— « Elle ne connaissait ni la nature ni la gravité de son mal, » répondit la jeune, fille. « Le médecin qui la soignait lui faisait croire qu’il s’agissait de névralgies intercostales. Je ne me suis jamais permis de le démentir. Il était chargé du traitement, il le conduisait comme il l’entendait. Pourtant Mme Barillon se défiait. Elle avait cherché et découvert dans des livres quelques-uns des symptômes qu’elle éprouvait… »

— « Ne trouvez-vous pas qu’un malade a tou-