Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
L’ÉTAPE

continua-t-il, « j’en appelle à tes principes de respect pour la conscience individuelle. Tu ne nous as pas fait baptiser. Pourquoi ? Tu me l’as dit bien souvent, parce que tu estimais, parce que tu estimes que la conviction de chacun est un domaine réservé où les autres ne doivent pas entrer. »

— « Aussi n’empêcherai-je jamais les abbés Chanut d’avoir les convictions qu’il leur convient d’avoir, » répondit Joseph Monneron. Il avait pris de nouveau, devant la contradiction de son second fils, la même voix irritée. « Mais qu’ils les gardent pour eux et qu’ils ne s’en servent pas pour établir dans le pays la guerre civile des âmes. Car c’est là leur œuvre. S’il y a deux Frances l’une contre l’autre, celle de l’Avenir, de la Justice, de la Vérité, en face de l’autre, celle du Passé, des Préjugés, de la Superstition, à qui la faute, sinon à eux ?… Si tout le monde avait fait comme moi, il n’y aurait qu’une France, qu’une jeunesse, qu’un idéal commun de lumière et de bonheur, et la République serait si grande, si belle, que, par son seul rayonnement, elle conquerrait le monde, sans lutte, sans guerre… Rome le comprend, sois-en sûr, et ce qu’elle désire, c’est empêcher cette unité morale à tout prix. Veux-tu que je te dise pourquoi ce monsieur Chanut va chez vous ? Il sait très bien qu’il ne convertira pas Crémieu-Dax, ni Rumesnil, ni toi, — vous êtes à l’abri de ses sornettes. Mais il veut vous diviser et il y réussit, puisque vous êtes en discussion, à cause de lui. Ah ! la Congrégation