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LES MONNERON

lument de l’entourage de son ancien maître, Brigitte l’oublierait. Elle en rencontrerait un autre, qui aurait la même foi religieuse, et à qui elle s’attacherait, qu’elle épouserait. Une image précise jusqu’à l’hallucination se dessina devant les yeux de l’amoureux, celle de Mlle Ferrand marchant à l’autel, rose d’émotion sous ses voiles blancs de mariée, et, auprès d’elle, quelqu’un qui ne serait pas lui. Et il se surprit à être tenté par le raisonnement qu’il se tenait depuis ces huit jours :

— « Mais je suis un fou, » se disait-il, » de briser ma vie pour une chimère ! Un acte religieux auquel on ne croit pas, ce n’est rien. Pourquoi ne pas me soumettre à une formalité, ou légitime, si le catholicisme est vrai, ou absolument vaine, s’il est faux, alors que cette soumission, c’est le bonheur assuré ?… Que me répondrait mon père, si j’allais lui poser ce dilemme ? Il s’est pourtant marié à l’église, lui !… »

Jean Monneron sortait du jardin, comme il se prononçait mentalement cette phrase. Elle lui rendit soudain la conscience aiguë de l’existence des siens et de leurs personnalités Ce mariage religieux restait, dans le souvenir de Joseph Monneron, comme la preuve de la tyrannie que le régime impérial exerçait sur les fonctionnaires. Il avait eu lieu en 1869, à Nice, l’année même où le professeur sortait de l’École normale. Il n’avait pas de fortune. Il épousait une fille qui n’en avait pas non plus. La pression de sa future