Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/517

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
505
BRIGITTE FERRAND

camarade, fébrilement : — « Cet argent que cet enfant est venu te demander, son frère l’avait pris dans la caisse de la banque où il est employé. C’est pour le rendre que Jean te l’a emprunté en me le cachant, de peur de me désespérer. Je ne l’ai su qu’hier, et qu’aujourd hui sa démarche ici… Il y a pire…» ajouta-t-il, après un silence et d’une voix rauque… « Ma fille… »

— « Arrête-toi, » supplia Ferrand avec une émotion aussi profonde que s’il se fût agi de ses propres enfants, et non de ceux d’un condisciple séparé de lui depuis tant d’années, et par tant d’hostilités, « Je ne veux rien entendre de plus… » Et gravement, solennellement, tendrement aussi : « J’ai toujours su que tu étais un grand honnête homme, Monneron, » continua-t-il. « Tu m’en donnes une preuve devant laquelle je ne peux que te répéter sans sous-entendus ce que je t’ai laissé comprendre tout à l’heure, ce que je te dis nettement : Parle avec Jean. Rapporte-lui notre conversation. Montre-lui cette lettre de Rome Explique-lui que je n’exige rien de plus que les conditions qui s’y trouvent mentionnées, et, s’il est dans les mêmes idées, nous serons deux à lui donner le nom de fils… »

Tandis que ces irréconciliables ennemis d’idées, tous deux au bord de la vieillesse, trouvaient ainsi dans leur commune tendresse pour leurs enfants et dans leur loyauté réciproque, le terrain de rapprochement qui leur avait toujours manqué, une