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BRIGITTE FERRAND

a eu peur du chagrin qu’il te causerait, et il a sacrifié son amour à son culte pour toi… Dis encore qu’il ne t’aime pas !… »

— « Mais je ne l’accepte pas, ce sacrifice, » répondit Joseph Monneron. La subite intrusion du problème religieux dans cet entretien avait soudain réveillé en lui l’idéologue et le partisan. « Non, » répéta-t-il, d’un accent âpre maintenant, « je ne l’accepte pas. Mon fils est libre, il le sait. Je le lui ai toujours dit, et encore ce matin. Le jour où il viendra me déclarer : « Je suis catholique, « je ne lui adresserai pas un reproche, pas une objection. C’est la différence entre nous, Ferrand. Je respecte trop les droits de la conscience pour me permettre de faire une question de sentiment de ce qui doit rester une question de raison… Je n’ai pas à juger ton opinion sur le mariage, mais tu me permettras de te le dire, parce que je le pense : tu n’avais pas le droit d’exercer cette pression sur l’esprit de cet enfant, au nom de son cœur. Tu n’en avais pas le droit… »

— « Aussi ne l’ai-je pas fait, » répliqua Ferrand sur un ton aussi âpre. Quoiqu’il se dominât plus que Monneron, lui aussi était atteint au vif de ses plus profondes certitudes. Ce n’était pas contre sa personne, c’était contre sa foi que son ancien camarade venait de porter cette accusation. Une ombre de fierté indignée passa sur son puissant visage, auquel la disparité de ses yeux donnait, lorsqu’il était ému, une physionomie si frappante : « Quand j’ai parlé à ton fils comme je lui ai