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BRIGITTE FERRAND

naires d’en bas, et de la mauvaise foi ou de I illuminisme de ceux d’en haut.

— « Je n’ai pas lu ce premier article, » fit Joseph Monneron ; « d’ailleurs, mademoiselle, je ne suis pas dans les idées de cette Revue. Je ne la vois jamais… »

— « N’y aurait-il pas grand intérêt cependant, » hasarda la jeune fille, « à ce que les adversaires de bonne foi se connussent mieux ? Si vous la lisiez, vous constateriez, monsieur, comme on s’efforce d’y être impartial… »

— « On ne peut pas être impartial dans les temps de combat, » répondit le jacobin. « Je dirais même qu’on ne doit pas l’être. Que chacun choisisse son camp, et qu’il s’y tienne… Je ne demande l’impartialité ni pour les miens, ni pour moi. Et je ne l’accorde pas… »

Il avait dit ces quelques mots du ton âpre et dur qu’il avait dans ses minutes sectaires. Brigitte Ferrand était si peu habituée à rencontrer des ennemis de ses intimes croyances, et les moindres paroles de cet ennemi-là étaient pour elle, en ce moment, d’une si grande importance ! Elle sentit ses joues plus brûlantes encore, son cœur battre à coups si pressés qu’elle en étouffait. Elle fit le geste de prendre sa machine à écrire, comme pour la transporter dans une autre pièce ; en réalité pour se donner une contenance. Ses bras tremblaient tellement qu’elle put à peine la soulever. Elle dut la reposer sur la table et s’asseoir elle-même, afin de ne pas tomber. Ces signes d’un