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L’ÉTAPE

vant sur le trottoir de la rue Oudinot, seul avec sa pensée, Joseph Monneron tomba dans une mélancolie plus profonde encore que celle où l’entretien avec Jean l’avait plongé. « Au moins un d’heureux !… » il se redisait cette parole contre laquelle il ne pouvait protester qu’en essayant de réparer ce qu’il pouvait réparer. S’il en était ainsi, — et il en était ainsi, — qu’avait-il à faire pour que les désastres intimes résumés dans ce soupir, échappé à Julie, fussent compensés dans la mesure où il dépendait de lui, en admettant qu’il en fût responsable à quelque degré ?… Au sujet d’Antoine, sa résolution était prise : dès le lendemain, il retournerait rue Cortambert. C’était bien le moins que Barantin, auquel il n’avait jamais rien demandé durant tant d’années d’une fidélité si constante, lui obtînt pour son fils aîné la concession, soit au Tonkin, soit à Madagascar, dont le projet était devenu définitif maintenant. Les dix mille francs de capital qu’il mettrait à la disposition du jeune homme achèveraient de l’acquitter vis-à-vis de ce fils. Antoine pouvait encore être heureux, s’il le voulait… — Au sujet de sa fille, le père n’était pas moins ferme dans sa décision de la garder auprès de lui, toujours. Elle ne devait plus penser à se marier, mais seulement à racheter sa faute par le dévouement de sa maternité. Elle le comprendrait à la réflexion, et que le seul endroit de protection digne où elle put élever son enfant, était le foyer paternel. Elle ne serait jamais heureuse, mais elle ne