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L’ÉTAPE

reux, depuis que le traducteur de Kant, le prophète de la Solidarité, l’ami des déshérités, s’y était installé entre deux ministères. Avant cette visite-ci, jamais il n’était venu à la pensée de l’utopiste de vraiment regarder le décor que le député de la Seine devait à « sa magnanime sollicitude pour toutes les causes généreuses », disaient les journaux de son parti. — Le mot généreux n’a-t-il pas deux sens ? — Fallait-il que les révélations de ces derniers jours et les réflexions qui les avaient suivies eussent ébranlé Joseph Monneron, malgré tout, dans ses naïvetés profondes ! Pour la première fois, ce luxe impudent du démagogue arriviste, qu’il avait connu pauvre petit professeur comme lui-même, froissa en lui une corde cachée. Ce fut au point qu’il repoussa le papier à lettres et l’enveloppe qu’un valet de chambre au mufle impudent lui avait apportés sur sa demande. Il se contenta de déposer une carte sans y rien écrire, et il se retrouva dans son fiacre. Il consulta sa montre et vit qu’il était à peine une heure et demie. Il avait le temps de rentrer pour sa répétition. Il donna donc son adresse au cocher, qui se mit en route pour gagner ce lointain quartier des Feuillantines à travers des rues auxquelles Monneron ne prit pas garde d’abord, absorbé dans son ennui de ne pouvoir s’acquitter avec Ferrand avant deux ou trois jours… Pourquoi, à un certain moment, cette distraction se transforma-t-elle en un examen attentif du chemin suivi par la voiture qui, après avoir descendu l’avenue du Trocadéro et