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BRIGITTE FERRAND

gagnait juste de quoi joindre les deux bouts avec ses charges et il pliait sous le poids des répétitions supplémentaires sans avoir jamais eu un contre pour respirer et se laisser vivre. Qu’est-ce que cela prouvait ? Qu’il devait tendre son âme et peiner jusqu’à la fin, en bon citoyen, voilà tout. Il n’en concluait pas que la formule était fausse. — Il voyait autour de lui des collègues, qu’il avait connus bonapartistes fougueux avant 70, conservateurs décidés sous le Maréchal, opportunistes ardents sous Gambetta, socialistes magnanimes aujourd’hui, et patrons d’universités populaires, obtenir de hautes sinécures grassement rétribuées, se prélasser dans des rectorats, passer à leur cou des cravates de commandeurs, figurer dans le haut monde officiel, tandis qu’il continuait, lui, l’ouvrier de la première heure, à s’échiner sur des copies d’élèves, avec un bout de ruban rouge à sa boutonnière, octroyé par la charité de Barantin ! Cette expérience le laissait parfaitement convaincu que le régime démocratique a cet incontestable avantage que l’on arrive par son seul mérite. — Des politiciens brouillons bouleversaient les programmes de l’enseignement secondaire. D’année en année, lui, le fervent des lettres latines et grecques, il voyait le niveau des études baisser et s’avilir la jeune intelligence française. Il n’en concluait pas que le nombre ne crée ni ne reconnaît la compétence, et que faire gouverner un pays par les élus du suffrage universel, autant dire par une majorité de charlatans issue d’une majorité d’ignorants, c’est