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LE PÊRE ET LE FILS

de venir à ton père… Il t’a pris à moi… C’est le dernier coup. Je t’ai perdu aussi… Il ne me reste que le petit. Mais je le défendrai, celui-là. Que j’y voyais juste, quand je ne voulais pas que tu entrasses en philosophie chez cet homme !… Et puis, je t’ai laissé y entrer, parce que c’était mon lycée, et que nous faisions route ensemble pour y aller tous les matins. Oui, voilà mon motif. Je t’ai tant aimé, mon Jean ! Je me suis tant plu en toi ! J’ai eu tant de joie à former ton esprit !… Et il t’a pris à moi… Mais je le lui dirai. Il saura ce que je pense de ce travail de subornement qu’il a exercé sur toi… Il faut que je lui rende cet argent d’abord. Cela me fait autant d’horreur de le lui devoir qu’à l’autre. Il l’aura aujourd’hui… » Et, se tournant vers son fils : « Mais comment as-tu pu ? Comment n’as-tu pas compris que c’était la dernière porte à laquelle frapper ?… »

Jean écoutait cette plainte avec une consternation qui ne lui permettait pas de se défendre. Il s’était aperçu, — on l’a noté déjà, — et depuis longtemps, que le professeur jacobin nourrissait une antipathie pour le professeur catholique, il n’en avait jamais mesuré la profondeur, ni compris qu’entre les deux camarades d’École Normale il existait un de ces étranges sentiments qui sont la survivance douloureuse et passionnée de certains compagnonnages de jeunesse. On a cessé de se voir, après ne s’être pas quittés pendant des années. On a marché chacun dans son chemin, et l’on est si loin l’un de l’autre qu’il semble que