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LE PÊRE ET LE FILS

trouvé là lors du suicide de sa sœur, Jean s’écria :

— « Ne parle pas ainsi, mon père. Ne dis pas que tu as perdu deux de tes enfants, elle surtout. Ne dis pas que tu la chasseras, que tu ne veux plus la voir, que tu l’abandonneras… Ni même lui… Tu n’en as pas le droit. Tu es leur père. Ils seraient plus coupables encore que tu leur devrais de les soutenir, de ne pas les jeter, lui à tous les hasards de Paris, à d’autres vols, à pire peut-être, et elle, au désespoir, et à quoi !… Non, tu ne peux pas vouloir cela sincèrement, j’en appelle à ton grand cœur, mon père. Je te le jure, » ajouta-t-il, d’un accent profond et ferme, mais en baissant les yeux, tant les mots qu’il osait proférer étaient graves : « ce n’est pas juste. »

— « Pas juste ?… » répéta le professeur, avec plus de violence encore. « En effet, je ne suis pas juste !… Si je l’étais, j’aurais demandé à M. Berthier de ne pas ménager Antoine, de le dénoncer au parquet. On condamne chaque jour de pauvres hères qui n’ont pas reçu d’instruction, qui n’ont été entourés que de mauvais exemples, et ils n’ont pas fait ce qu’il a fait, lui à qui toutes les tentations ont été épargnées ! C’est Brutus l’ancien qui a créé Rome. Nous répétons cela couramment dans nos classes. Puis, lorsqu’il s’agit de donner à notre démocratie de ces exemples, et en tout petit, nous reculons… Pas juste ?… Quand nous étions à Versailles, nous avons renvoyé, là, sur place, une bonne qui était devenue grosse. Elle est partie, avec sa malle, en pleurant, pour aller accoucher