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LE PÊRE ET LE FILS

Monneron trouvait le moyen cependant de rester pareil à lui-même : son déplorable irréalisme et son admirable pureté de conscience se manifestaient à la fois, par la prédominance qu’il laissait prendre en lui, dans ce moment, au souci que lui donnait Antoine. L’accident de sa fille, cette blessure extraordinaire qui aurait dû commencer d’éveiller ses soupçons, c’était un malheur de l’ordre simplement physique. Qu’un fou, lâché dans une rue, tire des coups de revolver sur des passants, cela arrive tous les jours. Le père admettait cette possibilité sans la critiquer. Il ne critiquait pas davantage un hasard autrement étrange, à savoir que Jean se fût rencontré là, juste à point pour soigner sa sœur. Sa femme et lui avaient accepté le récit du docteur Graux, la veille, avec une docilité presque ahurie, tant ils étaient, l’un et l’autre, affolés à l’idée de leur fils aîné, — Mme Monneron, parce qu’elle l’aimait de cette passion maternelle, instinctive, animale, prête à toutes les indulgences comme à toutes les complicités ; — le professeur, parce qu’il eût, sincèrement, dans la farouche délicatesse de sa nature si intacte, si peu touchée par le vice, préféré, pour un de ses enfants, la mort au déshonneur. Ce fut ce sentiment qu’il montra aussitôt à Jean, lorsque celui-ci entra dans la pièce où ils avaient lu ensemble, si peu de jours auparavant, le morceau d’Eschyle sur Hélène : Âme sereine comme le calme des mers !… et la strophe sur Ménélas abandonné parmi les belles statues qui n’ont pas d’yeux pour