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LE PÊRE ET LE FILS

Jean l’avait placée derrière le rideau du lit, de façon à ne pas incommoder le repos de la malade. Cette lueur modelait le visage pâle et amaigri de la pauvre fille en méplats où le frère pouvait lire tant de tristesses qui leur avaient été communes sans être partagées ! C’était le silence vis-à-vis l’un de l’autre qui les avait conduits tous deux à cette nuit douloureuse où il la veillait ainsi. Allait-il le continuer, ce lâche silence, à l’égard de leur père, quand il le reverrait, à un moment bien proche et que rapprochait encore chacun de ces battements de la pendule, chacun de ces soupirs de Julie, chacun de ces ronflements du concierge de Rumesnil ? Ou bien inaugurerait-il ce parti pris de vérité dont il avait proclamé la bienfaisance, en face de sa sœur, le matin de la journée précédente, et dans son court entretien avec Crémieu-Dax, le soir ? S’il se posait ces questions, c’est que le caractère ne se trempe pas d’un coup, chez un homme habitué depuis tant d’années à reculer devant la sensibilité d’un autre. La réponse ne variait pas. Coûte que coûte, Jean parlerait, il se mettrait, et il mettrait son père avec lui, devant la réalité vraie. Elle s’impose toujours, à un moment, cette réalité. On ne s’y dérobe, et on n’y dérobe ceux qu’on aime, que pour la subir et pour la leur faire subir, plus brutale, plus dure. L’histoire d’Antoine en était une preuve. N’eût-il pas mieux valu qu’elle fût connue aussitôt du père, au lieu de lui être apprise ainsi ? M. Berthier, tout comme Jean, avait voulu se taire, pour ménager