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LE PÊRE ET LE FILS

C’est très douloureux, m’a dit le docteur, mais ce n’est rien… »

— «  Ah !… » gémit-elle, « me pardonnera-t-il jamais ? »

— « Calme-toi, » reprit-il, « tu n’as rien à te reprocher. Ce n’est pas ta faute. »

— « Tu ne sais donc pas que j’ai voulu le tuer ?  » dit-elle.

— « Tu as voulu le tuer ?… » répéta-t-il.

— « Oui, » reprit-elle. « J’ai été folle… Je t’avais parlé. Pourquoi ? Je ne comprends pas encore. Tu savais tout. Tu étais parti pour aller le rejoindre, le provoquer peut-être… Il était perdu pour moi, s’il ne me prenait pas avec lui pour toujours, comme sa femme ou comme sa maîtresse, que m’importait ?… Je lui ai écrit pour le prévenir et avoir un rendez-vous ici. Je voulais lui demander de m’emmener, et, s’il me refusait, mourir devant lui. Je ne pensais pas à me venger, ni à le menacer, je te le jure… Et puis, il m’a traitée trop durement !… C’était si naturel. Je l’avais livré à toi, et il y avait cette nouvelle lettre d’Antoine… Tu la liras. Elle est dans la poche de ma robe. Ils ne me l’ont pas prise. Je l’ai tâtée, à travers l’étoffe, encore tout à l’heure… Alors, j’ai perdu la tête… Mais il n’est pas mort ! Il n’est pas mort ! Ah ! c’est moi qui peux mourir !… »

— « Tu ne mourras pas, » répondit Jean qui l’embrassa de nouveau. L’amour que la blessée témoignait pour celui qu’elle avait voulu assassiner lui faisait moins de mal encore que la géné-