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L’ÉTAPE

le délire du désespoir et au cours d’une explication violente, avait voulu le tuer et se tuer ensuite. Comme elle dirigeait l’arme contre lui, il avait, d’un mouvement instinctif de défense, jeté sa main gauche en avant pour la désarmer. Le coup était parti, et la balle lui avait déchiré la paume en lui cassant le poignet. La douleur avait été si aiguë qu’il s’était affaissé, pour se relever dans l’épouvante, au bruit du second coup que Julie, croyant l’avoir tué, s’était tiré à elle-même en pleine poitrine. Devant la jeune fille étendue à terre, sans connaissance et couverte de sang, le suborneur s’était retrouvé l’homme de bonne race et qui se comporte fermement dans le danger. Il avait eu l’énergie de bander lui-même avec son mouchoir sa main brisée, de sortir, de héler un fiacre, de se faire ramener chez lui, où il avait pris le seul de ses gens dont il fût sûr. Il l’avait envoyé tout droit chez le docteur Graux, avec un premier billet. Il était retourné aussitôt rue d’Estrées, où, un quart d’heure après, le médecin, rencontré par bonheur à sa maison, était venu le rejoindre. Rumesnil s’était retrouvé gentilhomme encore en se taisant absolument sur la tentative d’assassinat dont il avait été la victime, et en expliquant, comme il avait fait, sa blessure à la main. Il l’était resté en ayant le courage, — c’en était un, — d’envoyer chercher son camarade si indignement trahi, afin que la malheureuse Julie eût auprès d’elle son seul protecteur naturel, dès ces premières heures. Maintenant, il se tenait dans une petite pièce qui