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L’ÉTAPE

dignes de Balzac, pût servir d’enseigne à des assemblées de cette sorte ! Crémieu-Dax cependant, debout devant la table de la présidence, essayait de dominer ce bruit assourdissant, tantôt avec sa sonnette qu’il agitait désespérément, tantôt en criant, d’une voix qui se perdait dans ce fracas : « Mes camarades !… Mes camarades !… » Dans l’atmosphère, irrespirable déjà, flottait un relent animal, presque de fauves. Les interpellations se croisaient, furieuses et toujours les mêmes : « Lâches !… Misérables !… Bandits !… Jésuites !… Silence aux poivrots !… À la porte !… Vive l’anarchie !… À bas la calotte !,.. Vive l’U. T. !… Bravo, Crémieu-Dax !… Conspuez !… Curés rouges !… Bourgeois !… » et, brochant sur le tout, un nouveau couplet de l’hymne de mort, dont le dernier vers prenait une espèce de poésie sinistre à tomber ici, dans ce laboratoire des Communes futures :

…Pour s’affranchir le seul moyen
C’est la guerre au Prétorien.
Dynamite et pétrole
Pour le vautour qui vole.
Et aux puissants, la bombe !

Il se dégageait de cette scène une contagion de guerre civile si intense que Jean lui-même s’y laissait prendre. Ayant aperçu son cousin qui, adossé au mur du fond, réglait du geste, de la parole et du regard cet infernal sabbat, il commençait de crier : « À la porte, Riouffol !… Il n’est