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L’ÉTAPE

les muscles de sa bouche avaient seuls trahi, par leur tressaillement, une colère égale à celle de son ennemi, mais qui se domptait. C’était le magnétisme de cette énergie morale qui avait empêché que le forcené ne le frappât, « Oui, » continua-t-il, « votons, et vite… »

— « Moi, je ne voterai pas, » dit Marius Pons, « je pense comme Riouffol, et je démissionne. Le geste est trop laid… » Et, en prononçant cette formule d’esthéticisme dégoûté, il désignait du regard le prêtre toujours immobile, tandis que Boisselot opinait, dans un style, devenu, à force de travail appliqué, la forme naturelle de sa pensée : « Je démissionne aussi, comme Riouffol et comme Pons. Si l’Union n’est pas une entreprise de prophylaxie sociale, elle n’est pas. Libre à vous d’offrir, avec des mentalités de negritos, vos crânes bourgeois à l’engraissement des parasites de sacristie ! Les poux ne viennent que sur les têtes sales. Mon chef est net… »

— « Veux-tu présider, Monneron ?…» demanda Crémieu-Dax à Jean. « Ou toi, Bobetière ?… » Pour la première fois peut-être depuis que son ardeur révolutionnaire l’avait jeté dans des fréquentations intellectuellement dégradantes, il ne put contenir l’expression du mépris que lui inspiraient la prétention grotesque du prophète de « la beauté pour tous », et l’insondable bêtise du cacographe : « Ils sont partis… Quels cerveaux ! Mais quels cerveaux !… » Puis, devant l’hésitation de ses amis : « Vous préférez que ce soit moi qui pré-