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L’ÉTAPE

condamnée par l’épreuve de la réalité : les cris émanés de la salle l’attestaient assez, et son agitation autour de résultats aussi misérables que celui auquel tendait maintenant sa diplomatie. Quand Bobetière et Jean avaient prononcé leur « Votons ! » presque simultané, Riouffol avait regardé la pendule et fait observer que, les neuf heures n’étant pas sonnées, Rumesnil pouvait venir encore. Crémieu-Dax avait profité de ce répit pour prendre à part ses deux amis et pour leur demander d’inscrire sur leurs bulletins le nom de l’ouvrier relieur. La pendule ayant sonné ses neuf coups, on procéda au vote. Il se trouva que Riouffol, préoccupé de l’arrivée du retardataire, n’avait pas donné de mot d’ordre à ses deux partisans. Ceux-ci votèrent donc, l’un pour Bobetière, l’autre pour Monneron, l’ouvrier relieur lui-même pour Crémieu-Dax.

— « Riouffol a trois voix.., » dit ce dernier, qui s’était chargé de dépouiller le scrutin, « C’est lui qui est président… Monsieur l’abbé, si vous le voulez bien, nous allons entrer. Riouffol… »

Le relieur s’était levé. Une lutte violente se lisait sur sa longue figure, et une souffrance passionnée dans ses petits yeux noirs, qui fixèrent soudain Crémieu-Dax, Monneron et Bobetière, avec une colère voisine de la rage. Il frappa de son poing la table, d’un coup si terrible qu’elle en fut ébranlée et que les papiers volèrent :

— « Vous l’avez voulu, les bourgeois ! C’est la guerre… Ah ! c’est bien joué, Crémieu-Dax, tu es