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LA CATASTROPHE

Ce dernier vers, lequel est du moins de la plus réjouissante stupidité, — car il faut pourtant être deux pour raser une frontière, — résonnait encore quand Crémieu-Dax et Jean Monneron purent introduire l’hôte ainsi salué dans l’antichambre du premier étage. Quatre individus étrangers à l’Union recueillaient les cannes des arrivants. C’était encore une des précautions que le collectiviste millionnaire avait prises, à ses frais, et fort utilement, il put s’en convaincre tout de suite, en entendant une autre rumeur s’échapper de la grande salle, déjà plus d’aux trois quarts pleine. Cette rumeur était faite de l’ignoble mot : « Calotin !… Calotin !… » scandé sur l’air des Lampions. Des protestations furieuses le coupaient : « C’est honteux !… Vous nous déshonorez !… Taisez-vous !… À la porte, les gueulards ! … » La bataille commençait à l’intérieur, avant même que toutes les places fussent occupées. Des commissaires, reconnaissables à une petite médaille de bronze, fixée par un ruban rouge et sur laquelle les lettres U. T. se voyaient d’un côté, et, de l’autre, la sublime devise : Nature, Science, etc., allaient et venaient, littéralement affolés, se concertant, se séparant, faisant taire celui-ci, menaçant celui-là de l’expulser, et la porte ouverte à deux battants laissait voir, entre les quatre murs, décorés des photographies de Rembrandt, de Velasquez, de Léonard, de Botticelli, de Mantegna, une houle de têtes et d’épaules sans cesse accrue, avec l’estrade au fond, vide et toute mince. Les fon-