devenue noble, elle ne devait plus que servir l’État. Bonald a vu cela merveilleusement. C’était de cette circulation lente qu’était faite la vie profonde de la vieille France. Elle s’était faussée sous le despotisme de Louis XIV et l’incurie de Louis XV. Il y avait lieu, en 1789, de la régulariser. On l’a détruite. Telle qu’elle était, cette vieille France, avec ses abus et ses misères, j’aurais mieux aimé en faire partie, comme un pauvre paysan, comme un ouvrier de la glèbe, que de celle-ci, comme un demi-bourgeois sans milieu, sans passé, sans certitudes. J’y aurais moins souffert… Et toi, Salomon, ce que tu aurais été ? Mais rappelle-toi que sous l’ancien régime, en 1787, Malesherbes, sur l’ordre du Roi, provoqua une commission de notables Israélites chargés d’aviser à l’amélioration du sort de leurs coreligionnaires. Huit Israélites de marque obtinrent des lettres patentes de naturalisation. Donc l’ancien régime était prêt à faire leur place aux Juifs, et il la leur faisait. Sans 89, les choses auraient continué dans ce sens, c’est-à-dire que, peu à peu, toutes les familles juives où il y aurait eu de la supériorité fixée se seraient introduites dans la vie française en s’y adaptant et en l’enrichissant d’un appoint mesuré. Elles eussent fait partie, comme les plébéiens de haute espèce, de cette aristocratie recrutée qui renouvelait la noblesse en y participant. Il en eût été chez nous comme il en est en Angleterre, où un lord Beaconsfield et un lord Rothschild ont naturellement siégé à
Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/410
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
L’ÉTAPE