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L’ÉTAPE

train de discuter avec Crémieu-Dax, qu’il ne désespérait évidemment pas de convaincre. Les prunelles du jeune Juif traduisaient par leur éclat la passion profonde qu’émouvaient en lui les problèmes de philosophie religieuse. Un autre signe prouvait cette passion plus certainement encore : en toute autre circonstance, ce fanatique, mais si tendre ami, eût remarqué l’altération du visage de Jean, que les émotions de cette affreuse journée avaient contracté et comme serré. Il vit seulement dans sa venue l’occasion de discuter en sa présence des idées dont il le savait préoccupé, sans les aborder jamais avec lui, et, la présentation faite :

— « Tu as dîné ? » demanda-t-il. Puis, sur la réponse affirmative de Monneron, qui, en réalité, avait acheté le long de la route un croissant d’un sou et ne l’avait même pas fini, tant il avait la gorge serrée : « Nous ne te ferons pas attendre longtemps, nous finissons… » continua-t-il, et, revenant à la thèse qu’il était en train de soutenir : « Je résumais pour M. l’abbé, qui ne les connaît pas, les magnifiques pages de Darmesteter sur le rôle que l’Église catholique pourrait encore jouer, elle, la seule force organisée d’Occident, si elle voulait, comme il l’a dit, reprendre les formules des Prophètes qu’elle a volatilisées en métaphores et les accomplir, en se faisant l’ouvrière suprême de la Justice et de la Démocratie…  »

— « J’accepterais la formule, » répondit l’abbé