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LA CATASTROPHE

n’avait pas le droit de même aimer en pensée l’être idéal, l’immaculée et tendre créature qu’était l’Antigone intellectuelle du philosophe catholique. L’autre coin de Paris, fécond en évocations tristes, fut cette rue Cassini, où il avait eu avec son cousin Riouffol, il y avait exactement six jours, cette dispute odieuse, presque ce colletage. Toute l’amertume dont il avait été saturé jusqu’à la nausée durant la dernière séance de l’Union Tolstoï lui reflua dans le cœur. Qu’elles lui semblaient vaines et inutiles, les passions dont il avait vu ses camarades agités, depuis Crémieu-Dax et Bobetière jusqu’à ce sauvage Riouffol, sans parler du prétentieux Pons et du cacophraste Boisselot, en regard d’un drame réel, comme celui dont il était en ce moment le lamentable héros ! Il devait éprouver, dans ce nouveau contact avec les utopistes de l’U. T., que cette stérile ardeur de discours, dépensée pour ou contre certaines idées sert bien souvent de substitut à la souffrance intérieure. C’était l’écœurement continu d’une existence opprimée par un labeur trop servile qui se soulageait dans les féroces sophismes de Riouffol, pour ne citer qu’un exemple. Lui-même, Jean, allait se mêler, avec l’âcreté de son ressentiment pour Rumesnil, aux scènes provoquées dans ce milieu de révolutionnaires par la présence du prêtre conférencier. Qu’il s’attendait peu, pourtant, à s’engager dans des discussions sociales et philosophiques, quand, arrivé devant la porte du petit restaurant, il se hasarda à regarder à l’inté-