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ET NE NOS INDUCAS

entendu : mon amant !… Parce qu’il va me quitter, ignoblement, lâchement, après m’avoir déshonorée !… Réponds ! Est-ce que je n’avais pas le droit qu’il m’avertît ?… Ah ! il t’a montré beaucoup de cœur ! C’est un véritable ami !… Écoute : je suis enceinte, et il veut que je me fasse avorter ! Il m’en a parlé hier. Je l’ai vu, l’après-midi. J’avais un rendez-vous avec lui… Il m’en a reparlé, ce matin. Car je l’ai revu, tout à l’heure, dans la rue, où je l’attendais avant qu’il ne monte ici… Oui, voilà ce qu’il veut de moi, ce véritable ami, et puis me laisser, me rejeter dans ma boue !… Quand il est là, quand il me regarde, son empire est tel, qu’il y a cinq minutes je n’étais pas sûre encore que je ne lui obéirais pas, que je n’irais pas, dans l’affreux endroit, commettre l’affreuse chose… Maintenant qu’il y a quelqu’un qui sait, je n’irai pas, cela ne sera pas. Piétine-moi, Jean, insulte-moi, chasse-moi… Tout m’est égal. Je suis sauvée de ce crime, et toi, je ne t’entendrai plus vanter ses louanges. Il ne te trompera plus, comme il m’a trompée… Tu le connais à présent, comme je le connais. Tu le méprises. Tu le hais… Ah ! le misérable ! le misérable ! le misérable !… »

Elle avait parlé sans mesurer ses mots, sans se demander ce qui suivrait cette confession, arrachée par la douleur à son remords et à sa colère. Elle avait cédé, d’une part, au besoin de mettre quelque chose d’irrémédiable entre elle et la tentation, comme elle venait de le dire, et, d’autre part, à un sursaut d’horreur pour la four-