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L’ÉTAPE

duplicité. Une terreur la saisissait devant cet homme, entre les mains de qui elle s’était mise, — pour se laisser conduire, où ? Les quelques paroles échangées avec lui dans la rue, si peu d’instants auparavant, lui revenaient, et son regard, dont le magnétisme avait si souvent dissous toutes ses énergies et tous ses scrupules, quand elle se débattait contre la séduction, — en vain ! Cette terreur s’accrut encore, mais cette fois mélangée d’une souffrance matériellement presque intolérable, quand elle eut ajouté : « Voilà tout ce que vous vous êtes dit ? » et que son frère eut répondu :

— « Nous avons touché un autre point très délicat, celui de vos rapports dans l’avenir… Je t’avais avertie que je voulais lui demander de ne pas continuer ses visites ici. Il m’a prévenu. Il quitte Paris la semaine prochaine… »

— « Il quitte Paris ?… » répéta Julie.

— « Oui, » reprit Jean. « Il y a longtemps qu’il avait l’intention d’aller à Berlin, passer sept ou huit mois, et y étudier l’organisation du socialisme allemand. Il avancera son voyage de quelques semaines. Voilà tout… »

— « Et il t’a chargé de m’annoncer son départ ? » interrogea-t-elle.

— « Comme tu me demandes cela ! » fit il étonné, « pourquoi ?… »

— « Pourquoi ? » répliqua-t-elle d’une voix que Jean ne devait jamais oublier. « Pourquoi ?… Mais parce qu’il est mon amant ! Tu as bien