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ET NE NOS INDUCAS

conde ; et, comme quelqu’un qui, après avoir reculé devant un coup à porter, se décide à énoncer sans ménagement une affirmation qu’il juge nécessaire :

« Il ne t’aime pas d’amour… Je te fais du mal, je le sens, je le vois. Mais je te devais la vérité. Tu la sais maintenant… »

— « Je t’en remercie… » répondit Julie. Tandis que son frère parlait, elle avait à demi baissé ses paupières sur ses yeux, pour les fermer tout à fait quand l’autre avait fait l’éloge de Rumesnil. Ses mains s’étaient croisées sur sa poitrine, du même geste de douleur qu’elle avait eu dans sa pénible explication avec Antoine. Cette comédie que son amant avait jouée à son frère n’était-elle pas convenue entre eux ? Ne lui avait-elle pas demandé elle-même de détruire tous les soupçons ?… Sans doute il aurait pu prendre cette occasion et parler de projets d’avenir, dire l’obstacle que représentait sa mère ; laisser deviner de sa part, à lui, un sentiment plus tendre. Il ne l’avait pas fait. Avait-elle le droit d’en conclure qu’elle avait été trompée par le jeune homme ?… Pourquoi tout son être frémissait-il de ce frisson qui remue une femme quand elle se heurte à la preuve soudaine d’une trahison ? Pourquoi l’apologie de son amant par ce frère, aussi aveugle à cette minute qu’aurait pu être leur père, la bouleversait-elle, en la révoltant ?… C’est que, mis ainsi, coup sur coup, à côté les uns des autres, les indices révélateurs du caractère réel de Rumesnil lui infligeaient une évidence trop affreuse de son égoïsme et de sa