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L’ÉTAPE

rendus. Cette première affaire est réglée. Es-tu toujours dans les mêmes dispositions ? » continua-t-il. « Te sens-tu le courage d’entendre la vérité, quelle qu’elle soit ?… »

— « Je te la demande, » répondit-elle. « Tu lui as parlé de moi, comme tu me l’avais annoncé ?… Oui… Que t’a-t-il dit ?… »

— « Ce que je prévoyais, » reprit Jean. « Quand il a su que ses assiduités avaient été remarquées, et par moi, ce qui n’est rien, et par d’autres, ce qui est beaucoup, il a été consterné. Ah ! il m’a montré beaucoup de cœur, et c’est un ami, un véritable ami, malgré tout !… Il a reconnu qu’il avait été imprudent. Il m’en a demandé pardon. Il ne m’a pas caché qu’il s’était intéressé à toi, très particulièrement. Toutes les raisons qu’il m’a données de cet intérêt m’ont prouvé que tu n’es coupable en rien. Tu n’as pas été coquette avec lui, je l’ai bien compris. Tu m’as livré le secret de vos relations, l’autre jour, quand je t’ai demandé : « Tu as donc été bien malheureuse, ici ? » et que tu m’as répondu : « Bien malheureuse ! » Ce que je n’ai vraiment su qu’alors, Adhémar l’a senti tout de suite, voilà tout. Ta solitude morale l’a touché. Ton intelligence l’a attiré. Il ne s’est pas rendu compte que tu n’avais pas pour lui les yeux qu’il avait pour toi. Je t’ai donné ma parole d’être franc jusqu’à la brutalité, je le serai : s’il ne m’a pas dit qu’il t’aimait, au point où nous en étions, ému comme je l’ai vu, c’est qu’il a pour toi de l’estime, de la sympathie, de l’attrait, de l’amitié…  » Il hésita une se-