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ET NE NOS INDUCAS

frer elle-même. Elle avait constaté, une fois de plus, dans son rendez-vous de la veille, rue d’Estrées, que le jeune noble était, malgré tout, profondément attaché à son ami. Cette liaison permettait, entre eux, un de ces entretiens poussés à fond où l’inquisition de l’un arrache à l’émotion de l’autre des paroles définitives. Que Jean fût bien persuadé qu’il s’agissait, non plus de propos malveillants à empêcher, mais du repos de sa sœur à préserver, de son bonheur à assurer peut-être, et il interrogerait son camarade avec tout le courage et toute l’ardeur de cette responsabilité. Que répondrait l’autre ? S’il était vrai que sa mère fût le seul obstacle à son mariage avec Julie, il le déclarerait. La jeune fille se rendait bien compte de la différence qui sépare une pareille phrase, dite d’homme à homme, et la même phrase, jetée en pâture à la passion d’une maîtresse. Et puis, Jean aimait, il saurait bien reconnaître si le sentiment de son ami ressemblait au sien. Que risquait Julie ? Si Rumesnil ne l’aimait pas, il prendrait ce prétexte de la défiance éveillée du frère pour ne plus revenir rue Claude-Bernard… Ah ! tant mieux ! Elle saurait enfin à quoi s’en tenir !… Mais était-ce possible qu’il ne l’aimât pas ?… Après avoir si souvent douté de cet amour et s’en être désespérée, elle ne voulait plus, elle ne pouvait plus admettre une si douloureuse hypothèse. Elle ne se demandait même plus ce qui arriverait d’elle au cas où elle se réaliserait… S’il l’aimait, au contraire, — et maintenant elle attendait l’épreuve avec un espoir