Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
L’ÉTAPE

n’avait pas démêlé tout de suite la preuve du mépris dans cette offre sinistre ! Et, mépriser, non, ce n’est pas aimer…

Des émotions aussi violentes et aussi cahotées que celles où la malheureuse fille était roulée ont pour résultat d’épuiser la réserve entière de la force nerveuse. Ce sont de véritables attaques de spasmes moraux, si l’on peut dire, et qui laissent leur victime dans un état d’impuissance volontaire, tout voisin de la maladie mentale. Le détraquement du mécanisme intérieur fait que l’âme n’est plus nulle part. Elle ne sait plus où elle va. L’intelligence et la sensibilité n’ont plus de perspective, plus de plan, plus de norme. Nous deviendrions fous, si cette instabilité psychique durait un peu de temps. Il se produit alors, dans les arrière-fonds obscurs de notre être, un appel à ce génie de conservation, de nos pouvoirs vitaux le plus inconscient, le plus infaillible aussi et le plus ingouvernable. Notre intelligence, comme désaccordée, lutte contre la confusion qui va la noyer, et elle se crée un ordre momentané par l’idée fixe. Notre sensibilité de même, déséquilibrée par trop de secousses, essaie de se ramasser, dans les appétits primitifs et fondamentaux qui lui rendent une espèce de logique. Quand Julie, arrivée au terme de cette nuit de fiévreuses et incohérentes méditations, eut enfin goûté quelques heures de repos, ce travail de la nature qui veut guérir, s’était accompli en elle,