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L’ETAPE

mobiles auxquels il obéit dans cette haine. C’est un des points où sa famille est malade en lui, — hélas ! où la France est malade dans sa famille. Suis la filière, et, toi qui connais si bien mes idées sur le principe de continuité, ce que l’Église appelle la réversibilité, tu en trouveras ici une confirmation bien significative. Cette famille Monneron a commis une première faute, dans le grand-père, qui était un simple cultivateur. Il avait un fils très intelligent. Il a voulu en faire un bourgeois. Pourquoi ? Par orgueil. Il a méprisé sa caste, ce jour-là, et il a trouvé un complice dans l’État, tel que la Révolution nous l’a fait. Toutes ces lois sur lesquelles nous vivons depuis cent ans, et dont l’esprit est de niveler les classes, d’égaliser pour tous le point de départ, de faciliter à l’individu les ascensions immédiates, en dehors de la famille, ce ne sont pas davantage des lois saines et généreuses. Ce sont des lois d’orgueil. À quel sentiment s’est-on adressé chez Monneron, au collège ? À l’orgueil. Dans ses examens ? À l’orgueil. Quand je l’ai rencontré à l’École normale, tout son développement n’était qu’un développement d’orgueil. Voilà pourquoi il n’a pas cru. Il a pensé à l’encontre de notre tradition religieuse. Ce faisant, il a estimé qu’il obéissait à sa raison. En réalité, il s’est fourni des prétextes pour justifier une attitude qui n’était que l’instinct déposé en lui par toutes ces données. Il est un vrai représentant d’une époque dont l’aberration consiste à vouloir que chaque génération recommence la so-