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ET NE NOS INDUCAS

catéchisme du concile de Trente en lui disant : « Interprétez votre sort avec les formules de ce livre, et vous conclurez… » Ce vénérable volume, feuilleté avant lui par tant de mains pieuses, détendues aujourd’hui dans la mort, il l’eût ouvert, après avoir reçu les confidences de sa sœur. Julie lui eût raconté sa misère et le conseil horrible de Rumesnil. Elle lui eût avoué qu’après s’être révoltée là contre, elle demeurait bouleversée de se sentir tentée. Il eût cherché alors, d’un doigt frémissant, les pages où les Pères de ces solennelles assises ont commenté les mots de la prière : Et ne nos inducas in tentationem… Et il eût reconnu, avec quelle émotion ! combien étroitement elles s’appliquaient à la situation particulière de cette sœur. Que disent-elles, ces pages ? Que toute tentation porte une double empreinte : celle de Dieu, qui la permet pour nous donner une occasion de nous racheter, en méritant ; celle de l’Éternel Ennemi, qui la suggère pour nous perdre. C’est le beau verset du livre de Tobie : Quia acceptus eras Deo, necesse fuit ut tentatio probaret te… Cette offre, chuchotée à la fille enceinte, par celui qui l’avait séduite, de la conduire secrètement dans une maison sûre où des manœuvres scélérates la délivreraient, presque à son insu, n’avait-elle pas ces deux caractères ? La repousser, préférer à une délivrance criminelle la honte expiatrice de cette maternité coupable, c’était pour Julie remonter de plusieurs degrés l’escalier descendu, c’était reconquérir le droit de s’estimer encore. S’aban-