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et ne nos inducas

Dans les familles grandies, comme celle des Monneron, au rebours des lois fondamentales des sociétés saines, il se rencontre sans cesse un phénomène plus tragique peut-être, bien qu’uniquement moral, que les catastrophes terribles, ou sinistres : ainsi l’escroquerie d’Antoine, ainsi la faute de Julie. Ce phénomène est la solitude absolue où se trouvent les membres de ces groupements mal unifiés, dans des heures de crise, alors même qu’ils traversent des épreuves analogues, sinon identiques. Un père et son fils, une mère et sa fille, des frères et des sœurs sont soumis à des douleurs pareilles, dans des circonstances pareilles, et ils ne soupçonnent pas ces similitudes de leurs destinées intimes. Ils ne savent ni se comprendre, ni s’aider réciproquement. Ils sont à côté les uns des autres, et ils s’ignorent. Il leur manque cette cohésion secrète, cette pénétration si totale qu’elle en est inconsciente, privilège inné des demeures traditionnelles, où chaque génération n’est réellement qu’une