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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

creusée, le réseau bleuâtre de ses veines sur sa tempe pâlie. Ce cœur tari de libertin jeune, qui ne vibrait plus depuis si longtemps que par le désir et la curiosité, subit pourtant un passage de cette pitié dont Julie avait tant besoin. Il l’attira près de lui. Combien elle était vague et machinale, cette pitié, combien mélangée déjà d’abominables idées, la malheureuse devait le comprendre plus tard, en repassant par la pensée les détails de cette douloureuse scène ! Sur le moment, où eût-elle trouvé le courage d’analyser et d’observer ? Où la force de résister au besoin qu’elle avait, dans sa misère, de s’appuyer sur celui qui était son unique espérance, et qui lui disait :

— « Ce n’est pas d’aujourd’hui que tu as cette idée ?…» Et, comme elle répondait tout bas : « Il y a plusieurs semaines déjà… » — « Pourquoi ne m’as-tu pas parlé plus tôt ? » reprit-il… « Mais nous ne pourrons rien décider avant d’être tout à fait sûrs que tu ne te trompes pas… Nous le saurons, pourvu que tu te fies à moi. C’est la grande chose. Tu me le promets, que tu te fieras à moi ?… »

— « Si je ne me fiais pas à toi, serais-je ici ? » soupira-t-elle en posant sa tête sur l’épaule du tentateur, dans les paroles duquel son âme égarée, mais encore si simple, ne distinguait pas le commencement du sinistre conseil. Et, abusée par cette feinte douceur, le croyant si voisin d’elle par l’émotion, elle ajouta : « Ah ! si j’osais !… » Puis, suppliante : « Si nous devons avoir un enfant, est-ce que nous le laisserons naître ainsi, sans qu’il porte