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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

qui l’avaient agitée qu’elle lui demanda simplement, avec une voix encore étouffée d’émotion :

— « Mon ami, je sais que mon frère Antoine est venu chez toi le matin de ton départ. Je sais qu’il avait besoin d’une grosse somme d’argent, et tout de subite, de cinq mille francs. Tu vois que je suis renseignée. Tu les lui as prêtés. Est-ce vrai ? »

— « Puisque tu le sais, pourquoi me le demandes-tu ?… » répondit Rumesnil. Cette entrée en matière venait, en le déconcertant à nouveau, de lui rendre un peu de sa méfiance.

— « Parce que je veux t’avoir juré que je n’ai été pour rien dans cette démarche et que j’ai peur que ce malheureux n’ait abusé de mon nom auprès de toi. Comment a-t-il deviné notre intimité ? Je l’ignore. Mais il la connaît. Il prétend nous avoir rencontrés rue Amyot, qui nous promenions en tête à tête, avoir reconnu ton écriture déguisée sur des enveloppes de lettres… Qu’importe d’ailleurs ? Ce qui m’importe, c’est la façon dont il s’est adressé à toi. Réponds-moi. T’a-t-il dit que c’était moi qui l’envoyais ?… »

— « Laissons cela, » fit Rumesnil.

— « Oui ou non, te l’a-t-il dit ? » répéta-t-elle.

— « Oui, il me l’a dit. »

— « Et tu l’as cru ? »

— « J’ai cru qu’il était ton frère… » répondit le jeune homme, en mettant un baiser sur la main de sa maîtresse, « et je lui ai rendu service. » Cette insistance de Julie lui donnait l’idée qu’elle avait été imprudente avec Antoine. Ce n’était pas