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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

pourquoi es-tu si troublée ?… » elle se détacha de lui tout à fait, et, se laissant tomber sur un fauteuil, elle éclata en sanglots. Le jeune homme s’était mis à genoux devant elle. Il lui prodiguait les mots de tendresse, pour essayer d’apaiser une crise nerveuse qui déconcertait ses prévisions. Les craintes de Jean et de Julie ne les avaient pas trompés. C’était bien à Rumesnil qu’Antoine était allé demander les cinq mille francs nécessaires, au règlement de sa criminelle dette. C’était lui qui les avait donnés au faussaire, un peu par chevalerie, un peu par intimidation. Si contradictoire que doive paraître un pareil sentiment associé à sa conduite, Adhémar éprouvait pour Jean une amitié véritable, et, si cette amitié n’avait pu l’arrêter dans son entreprise de séduction, elle était assez forte pour lui rendre sincèrement insupportable que son camarade sût sa perfidie. Le cœur humain a de ces illogismes. Il avait suffi qu’Antoine dît avec un certain accent qu’il venait sur le conseil de Julie pour que le suborneur sentit la menace et y cédât. En recevant la dépêche de sa maîtresse, Rumesnil avait pensé que la restitution de la somme n’avait pas suffi, — car Antoine, pour lui arracher l’argent aussitôt, avait avoué un détournement à son bureau. — Sans doute le chiffre du vol était plus élevé, et la jeune fille voulait obtenir de lui quelque autre secours, ou bien une démarche, si l’escroc était sous le coup d’une arrestation. Le jeune homme s’était préparé à se défendre de son mieux contre un nouvel