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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

L’appartement de la rue d’Estrées, avec ses légères traces d’usure sur l’andrinople rouge de ses tentures et de ses rideaux, avec la minutie de son détail et l’air un peu défraîchi des meubles, disait trop l’installation déjà ancienne ! Par suite il racontait aussi que bien d’autres s’étaient glissées, frémissantes, sous la voûte dont la porte à gauche donnait aussitôt entrée dans la petite antichambre, assourdie de tapis, et à peine éclairée… Quelles autres ? Si souvent Julie s’était posé cette question en s’acheminant vers la mystérieuse maison ! Jamais avec une aussi fiévreuse anxiété que ce mardi, fixé par elle-même, quatre jours après les terribles scènes avec ses deux frères, dont le résultat était sa visite de maintenant. Qui l’eût vue marcher le long des trottoirs, par cet après-midi, n’eût jamais imaginé qu’elle allait à un rendez-vous d’amour, tant son délicat visage, altéré par l’anxiété, éloignait l’idée de la galanterie. Cette attente de deux fois vingt-quatre heures avait endolori et comme exaspéré ses nerfs irrités. Il ne s’était produit pourtant aucun incident nouveau. Elle n’avait pas échangé vingt mots avec Jean et pas un seul avec Antoine. C’était de Rumesnil que lui était venu ce surcroît d’anxiété. Quoique, dans sa dépêche, on l’a vu, elle ne lui eût pas demandé d’abréger sa villégiature, elle avait tant espéré qu’il rentrerait aussitôt ! Au lieu de cela, elle avait reçu un seul billet très court, lui disant « qu’il serait rue d’Emardi ; que, pour se conformer à son désir, il irait