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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

la passion qu’elle inspirait. Elle en doutait, depuis qu’elle avait donné sur elle au séducteur ce droit complet qui devient si aisément un prétexte à mépris, quand il n’est pas un motif d’adoration reconnaissante. Cette alternative, horrible dans l’ordre du sentiment pour une enfant, comme celle-là, restée pure jusqu’alors et dont l’innocence physique n’a même pas été effleurée par le vice avant la première et irrémédiable chute, se doublait d’une alternative non moins horrible à subir, dans l’ordre des faits : si Rumesnil l’aimait, l’ayant eue vierge et l’ayant rendue mère, il lui donnerait son nom. Et alors, c’était le bonheur absolu, toute sa vie changée, un épanouissement de ses rêves de cœur et d’esprit, une atmosphère de lumière et de liberté autour des aspirations si durement comprimées de sa jeunesse !… Sinon, et avec cette maternité clandestine, c’était l’effondrement de tout, une descente noire dans un abîme de misères, plus de possibilité de famille, sinon que l’abjection ou la déloyauté, une existence à jamais manquée !… Et voilà qu’il ne lui était plus permis de reculer l’épreuve à la suite de laquelle son avenir serait décidé dans l’un ou dans l’autre sens. Elle ne pouvait pas demeurer sous le coup d’un soupçon de complicité avec son frère Antoine. Elle ne pouvait pas accepter que son frère Jean eût un entretien à son sujet avec Rumesnil sans avoir averti celui-ci, afin que, du moins, toute surprise fût évitée. Elle ne pouvait pas remettre indéfiniment l’aveu