mules, aussi vaines, aussi vides que cette morale de la « solidarité humaine », dont le professeur anticlérical avait plein la bouche. Il croyait remplacer par ces deux mots la tradition vivante d’ordre et d’amour incarnée dans l’Église ! Il ne s’apercevait pas que cette expression de la dépendance relative des êtres à l’endroit les uns des autres a deux significations : l’une bienfaisante, c’était la seule qu’il voulût voir. Mais toutes les férocités de la lutte pour la vie ne sont-elles pas aussi justifiées par cette formule ? Le lion est solidaire de sa proie, puisqu’il ne peut pas vivre sans elle. Seulement sa solidarité consiste à la tuer et à la dévorer. Antoine, que son expérience personnelle rendait perspicace, avait cru lire très avant dans ce cœur de jeune fille, quand il avait dit d’elle : « Elle a de la défense ! » Elle en avait, en effet, en théorie, pour avoir traduit dans leur brutalité dure les principes de la morale indépendante. Réellement, elle n’en avait guère, elle n’en avait pas, parce qu’elle était une faible enfant de vingt et un ans, sans expérience, sans énergie vraie, une simple amoureuse, au fond, avec des idées d’arriviste. Jean n’allait pas jusqu’à ce dernier fond, et il se répétait la formule d’Antoine. Ces définitions ramassées et familières, décidées et presque chirurgicales, suggestionnent aisément les esprits trop méditatifs, comme le sien, trop disposés à se perdre dans des nuances indéterminées. Il se satisfaisait de celle-ci et s’en servait pour résumer ses réflexions sur Julie et sur le roman
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L’ÉTAPE