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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

occupait seule sa pensée. Qu’Antoine fut un misérable, voué d’avance aux pires hasards d’une existence aventureuse, il le savait maintenant, de même qu’il savait depuis longtemps l’inguérissable irréalisme du professeur. Il ne pouvait rien en ce moment ni pour l’un ni pour l’autre que de se taire, au lieu que Julie traversait une crise où son devoir était d’intervenir, et il en apercevait nettement le moyen. Il n’avait plus besoin de l’interroger. Ce qu’elle lui avait dit était trop clair, même dans ses réticences. Elle s’attendait que Rumesnil l’épouserait. Qu’avait fait celui-ci pour entretenir cette espérance ? Qu’avait-elle fait, de son côté, pour s’attacher le camarade de ses frères ? L’avait-il trompée par de fausses promesses ? S’étaient-ils trompés l’un l’autre ? La jeune fille avait-elle voulu seulement un beau mariage, comme elle avait paru le dire, ou bien, sous couleur d’ambition, avait-elle imprudemment laissé prendre son cœur ? Le mystère était là, toujours aussi impénétrable, aussi douloureux. Jean tenait une occasion sûre d’en avoir le mot. Cette explication avec Rumesnil, dont il avait menacé sa sœur pour lui arracher un aveu, il fallait la provoquer, dès ce mardi où l’autre reviendrait, en même temps qu’il lui rendrait l’argent emprunté par Antoine. Il le mettrait au pied du mur, en lui interdisant, comme il l’avait annoncé, les visites rue Claude-Bernard. Rumesnil devrait bien répondre. Ou il n’avait avec Julie qu’une petite affaire de coquetterie, et il cesserait ces