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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

berceau, à toute influence réactionnaire ; parce que j ai associé tous leur souvenirs d’enfance à des impressions républicaines… Toi-même, tu vois, tu as pu être tenté quelquefois, comme tous les Parisiens de ton âge, par le scepticisme… Je sais. Je sais. Tu nous a entendus traiter d’utopistes. Utopistes ? Soit. Mais c’est par les utopistes que la Justice a progressé dans le monde. Vivons dans l’absolu d’abord. Voilà ce que je vous ai appris depuis que vous existez, et je vois que ce fond reste. Le poète latin a de bien jolis vers là-dessus.

Pectore verba, puer. Nunc teNunc adbibe puro
Pectore verba, puer. Nunc te melioribus offer,
Quo semel est imbuta recens, servabit odorem
Testa diù…

Ces anciens ont tout dit. Quels génies !… Justifiez toujours ces vers d’Horace, mes enfants ! »

L’amant d’Angèle d’Azay, le Montboron des cabarets du boulevard, le faussaire du bureau du Grand Comptoir, le maître chanteur de la rue de Varenne, opina de la tête en signe d’assentiment. Le drôle n’avait pas cessé d’avoir, pour son frère et sa sœur, depuis qu’ils s’étaient retrouvés face à face, ce regard du boxeur en garde qui, guetté par deux antagonistes, surveille leurs moindres gestes, prêt à parer et à riposter. Ceux-ci avaient, au contraire, affecté l’un et l’autre de ne pas le voir. Ils s’étaient assis dans le salon, à une petite distance de la table, chacun de son côté, et chacun penché sur un livre. Ils avaient tous deux choisi un des ouvrages du programme de l’examen qu’ils