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L’ÉTAPE

venir d’avant leurs fiançailles évoqué par son mari, et elle répondit :

— « Si je me les rappelle ! Le père Granier les a tant aimés, qu’il les a copiés pour les envoyer au général… »

— « Il gobait donc les galonnards, grand-papa Granier ?… » dit Gaspard, chez qui les propos de l’universitaire, toujours en train de dénoncer le péril prétorien quand il se reposait du péril clérical, avait développé un précoce antimilitarisme plein de généreuses promesses pour l’avenir, et il ajouta, avec sa mimique de gavroche : « Blague dans le coin, vous m’en voyez baba ! »

— « Oh ! » reprit Joseph Monneron, « ce général là n’était pas comme les autres… » Et pieusement : « C’était Garibaldi !… »

— « C’est encore de Richard, et dans la même pièce, n’est-ce pas, père, ce beau vers, » demanda Antoine : « Y faire au moins vibrer ton nom, Garibaldi… ? » Cette adroite réminiscence, qui lui attira un sourire affectueux du correcteur de copies, était destiné, comme sa présence au logis ce soir, à dissiper les derniers vestiges de soupçon qu’aurait pu garder Joseph Monneron. Le fourbe n’avait d’ailleurs jamais été plus câlin, plus familial, tenant les écheveaux de laine de sa mère, faisant des tours de cartes pour son jeune frère, avec une dextérité inquiétante, mais pas pour le père abusé, au regard de qui cette simple citation d’un alexandrin révolutionnaire équivalait à un brevet de pureté morale. L’histoire