ingénument cette grotesque solennité de « penseurs vertueux » qui donne aux séances doctrinales de la Convention l’air d’une charge à froid aménagée, à souhait, pour réjouir l’humoriste de Bouvard et Pécuchet. Parfois le professeur, quand il corrigeait ses copies en famille, s’interrompait de son travail pour communiquer à ses fils, s’ils étaient là, et, à leur défaut, à sa femme ou à sa fille, une phrase qui lui paraissait remarquable. C’est ainsi que, ce soir, il interpella Jean tout d’un coup :
— « Décidément il a du talent, ce petit Ravenel… Je lui avais donné un travail sur Rousseau. Écoute ceci, Jean. Je te passe le détail d’une comparaison, qui est assez banale, entre une nation et un arbre. Mais comme il l’a relevé par le trait de la fin !… Écoute : Il arrive un moment où le peuple réveillé se lasse d’être la racine dont le travail souterrain fournit des aliments aux branches d’en haut, qui seules jouissent du ciel et du soleil ; où le tronc se fatigue de n’être que le couloir nu de la sève qui va s’épanouir à la cime en bouquets parfumés ; où l’arbre tout entier veut devenir fleur… Ça c’est excellent… » Il répéta : « Où l’arbre tout entier veut devenir fleur… Quelle heureuse formule pour notre démocratie ! C’est ce que nous rêvons tous pour le peuple… Ah ! que c’est bien dit ! » (Il n’apercevait pas l’extravagance de cette image caricaturale qui, à elle seule, condamnait tout le système, puisqu’elle supposait des résultats sans leurs conditions.) Et il continuait : « J’ai du plaisir, — mieux que cela, — du bonheur à penser qu’aujourd’hui ces idées sont courantes et