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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

te le défends. Oui, » insista-t-elle, « je te le défends ! De quel droit m’interroges-tu ?… »

— « De quel droit ? » répéta Jean. « Ne suis-je pas ton frère ? »

— « Oui, tu es mon frère, » répliqua-t-elle, « et après ?… »

— « Comment ? après ? » reprit le jeune homme avec une colère portée à son comble par la résistance de cette volonté refermée maintenant et qu’il sentait irréductible. « Je crois rêver en t’entendant ! Tu ne te rappelles donc plus que, ce matin même, tu me suppliais de faire la démarche la plus humiliante pour un amour-propre d’homme, d’aller tendre la main ? Faut-il que je te répète tes propres paroles ? Tu me disais : marche sur ton orgueil pour notre père, pour notre nom, pour nous !… Tu l’admettais donc il y a quelques heures, la solidarité de la famille, quand il ne s’agissait pas de toi ? Oui ou non, je te somme de me répondre : Antoine et toi, avez-vous parlé de Rumesnil ? »

— « Trêve de grandes phrases et de menaces ! » dit-elle d’une voix sèche et dure. « Les unes ne me font aucun effet et je méprise les autres. Il y a quelques heures, j’étais folle. Je ne la suis plus, parce que nous n’en sommes plus où nous étions. J’avais vu Antoine hors de lui. J’avais peur de tout, même d’un crime. À présent, ce qui pouvait être fait est fait. Je sais où il a trouvé l’argent. Je sais aussi que cet argent sera rendu et que la faute de ce malheureux n’aura pas, pour aujour-