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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

trine avec une force telle qu’il lui fallut s’appuyer un instant au mur du corridor, avant de frapper à la porte derrière laquelle allait se jouer une autre scène de leur tragédie familiale, la plus décisive, croyait-il, et la plus poignante, il en était sûr. L’honneur perdu d’un frère, c’est une grande épreuve. Elle ne touche pourtant pas l’âme au même point blessable que le fait l’honneur perdu d’une sœur. Une indélicatesse d’argent se répare. Un manque de probité s’expie. Ce sont des fautes abstraites, si l’on peut dire, et dont on souffre dans sa pensée, dans son être social, presque par raisonnement. Les déchéances de la femme sont mêlées d’une souillure physique. C’est la tache la plus intime, la plus désespérément ineffaçable, quand elle tombe sur une mère, sur une sœur, sur une fille. Elle atteint l’homme dans sa chair même, dans ce que la personne a de plus secret et de plus saignant. L’appréhension du coup au-devant duquel il courait sans doute était déjà une douleur pour le jeune homme, qui, cependant, n’hésita pas davantage à entrer chez sa sœur qu’il n’avait hésité, tout à l’heure, à interroger le concierge de la rue de Varenne. Le sens de la responsabilité s’était élevé en lui et le soutenait. Toute famille, si diminuée, si désunie soit-elle par les circonstances, comporte un élément indestructible, qui fait qu’elle est quand même une famille. Elle reste, malgré tout, une âme collective, un moment d’une race. Quand un de ses membres a la conscience d’en être le défenseur, le déposi-