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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

lieu, par des influences personnelles, comme celle du camarade Barantin. À ce moment, il en voyait trop le lien avec toute une construction mentale, si funeste à celui qu’elle dominait et aux autres, victimes, par contre-coup, de cet incorrigible irréalisme.

— « Je ne peux pas m’associer à ton espérance, » dit-il simplement. « Je vois bien l’élément d’énergie que les éducations laïques enlèvent à l’enfant. Je ne vois pas celui qu’elles lui substituent. Car, enfin, il faut vivre, et, pour vivre, agir. Où prendre le principe d’obligation dans ce que vous appelez la morale indépendante, tu dis de tout dogme, mais cela signifie qu’elle dépend de l’examen individuel. »

— « Où le prendre, ce principe ? Mais dans la Justice simplement, » répondit Joseph Monneron, qui avait regardé son fils avec une surprise attristée, « et dans la Solidarité, dans cette dette que chacun se trouve avoir contractée vis-à-vis de l’humanité, par le seul fait qu’il existe. Nous naissons tous obligés. »

— « Je te dirai, comme Crémieu-Dax, l’autre jour, citant Robespierre, » répliqua le jeune homme : « Au nom de quoi ?… C’est un cercle vicieux. Outre qu’une dette, pour être valable, suppose qu’elle a été acceptée en connaissance de cause par le débiteur, où est-il écrit qu’il y a obligation de s’acquitter d’une dette ? Dans le Décalogue et dans l’Évangile… Puisque vous n’en voulez pas ?… »