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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

cette conversation que tu avais eue avec Antoine. Encore un coup, je ne te demande pas de me la répéter. Jure-moi seulement que tu n’as aucune idée sur une personne particulière à laquelle il ait pu s’adresser… »

— « Je n’ai rien à te jurer, » répondit-elle, le regard plus sombre encore et plus défiant ; « mais, de ces personnes, il y en a vingt, depuis sa maîtresse, puisqu’il parait qu’il avait volé pour une femme, jusqu’à n’importe quel camarade de cabarets et de tripots, sans compter les usuriers… Ce dont je ne doute pas, c’est qu’il a commis une malpropreté pour avoir cet argent. Laquelle ? Je l’ignore et je souhaite de l’ignorer toujours. Ce sera la preuve qu’il n’a pas réparé un faux par un autre, et une escroquerie par un vol… Maintenant, » ajouta-t-elle en portant la main à son cœur et se rasseyant, « laisse-moi, veux-tu ? Les émotions de cette nuit et celles de ce matin m’ont trop épuisée. Je dois me reposer, avant le déjeuner, si tu veux que nous paraissions à table sans que le père s’aperçoive de notre agitation. Elle n’aurait qu’à réveiller son inquiétude… Pauvre père ! Sa tranquillité avant tout, tant que nous pourrons ! »

Cette supplication qui s’adressait de nouveau au sentiment qu’elle savait le plus puissant sur le cœur de son frère s’accompagnait d’une expression si anxieuse de sa physionomie consumée que le jeune homme obéit à cette trop évidente souffrance, mais, malgré lui, il se retira dans sa