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LES FRÈRES ET LA SŒUR

doctrines, il le sentait, seraient un jour complètement, absolument les siennes, et loin de l’autre, comme s’il y eût eu une déloyauté de sa part à devoir au fondateur de l’U. T. tant de reconnaissance, quand il se préparait à se séparer de lui pour toujours, dans le domaine des idées. Ce travail de pensée s’était accompli en lui d’une façon si indépendante de sa volonté qu’il demeura étonné de se retrouver sous le porche de la maison du père de Brigitte. Il se souvint alors qu’il avait promis, moins de vingt-quatre heures auparavant, de ne plus revenir dans cet appartement où vivait la jeune fille, et vers lequel l’avait peut-être attiré aussi un invisible attrait émané d’elle. Il était bien sincère cependant en souhaitant de ne pas voir apparaître sa svelte silhouette au cours d’une visite, mêlée à de si tristes secrets de son existence de famille ! Cette rencontre lui fut épargnée. Le philosophe était seul, assis à son bureau et en train d’écrire, sous le portrait d’Arnaud d’Andilly. Rien n’avait changé, depuis la veille, dans la vaste pièce, que Jean avait toujours connue la même. Jamais elle ne lui avait donné plus profondément cette impression de l’asile intellectuel, du havre moral enfin possédé. M. Ferrand avait eu sur son méditatif visage, en le voyant, le rayonnement d’une joie aussitôt changée en anxiété. Il venait de lire distinctement sur la physionomie de son élève le drame intime que celui-ci traversait, et il eut, pour aller au-devant des chagrins du jeune homme, ce délicat geste d’amitié que