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LES FRÈRES ET LA SŒUR

jeune singe mal éduqué. Elle sortit de la chambre, sans même avoir l’air de l’avoir entendu, et aussitôt Antoine la suivit…

— « Hé bien ? » lui dit-il, quand ils furent seuls dans le couloir, « tu as la lettre pour Rumesnil ? »

— « Non, » fit-elle, « et j’ai réfléchi, je ne l’écrirai pas… »

Elle avait regardé son frère en prononçant cette phrase, avec le même air de défi que cette nuit, préparée à rencontrer la même menace, et, cette fois, à y tenir tête. Elle demeura déconcertée d’entendre, au contraire, Antoine lui répondre :

— « Je m’y attendais. Tu as peut-être raison… J’ai réfléchi d’ailleurs, moi aussi, et j’ai trouvé un autre moyen. Je regrette de t’avoir parlé comme je t’ai parlé… Mais, tu sais, l’affolement… » Puis, regardant sa montre : « Nous recauserons de cela plus tard. Il faut que je sois à mon bureau à temps pour voir Berthier seul… »

— « Que s’est-il passé ? » se demanda la jeune fille, quand le dangereux personnage eut disparu du vestibule. Elle l’entendit qui ouvrait la porte d’entrée. Il descendait l’escalier. Se rendait-il vraiment à son bureau ? Elle avait eu, en l’écoutant, la sensation physique du mensonge. Un instinct qu’elle ne raisonna pas la fit soudain courir dans le salon et ouvrir une des fenêtres qui donnaient sur la rue Claude-Bernard. Elle aperçut Antoine, debout sur le trottoir et qui, de sa canne, faisait signe à un fiacre de s’arrêter. Il s’y