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LES FRÈRES ET LA SŒUR

en se reculant loin de lui, et serrant ses bras plus étroitement contre son sein.

— « Et quand écriras-tu cette lettre ? » dit-il après un silence. « Tu sais que le temps presse. Je tiens à la porter moi-même, pour être plus sûr, avant d’aller à mon bureau… »

— « Tu l’auras à huit heures, » fit-elle, et, avec un mouvement d’impérieuse colère qui le fit sortir de la chambre : « Ne me demande pas de l’écrire maintenant. Je ne peux pas… Mais va-t’en donc ! Va-t’en !… »

Ce retournement subit de volonté, les alternatives de révolte et de passion, de fierté blessée et de violence que la jeune fille avait traversées devant lui, sa physionomie empreinte d’une telle souffrance, la voix qui par moments lui manquait, tous ces signes de la tragédie intérieure provoquée par le seul nom de Rumesnil avaient trop démontré à Antoine que les relations de Julie avec le jeune noble ne se bornaient pas à un enfantillage d’une clandestine, mais innocente coquetterie. Au train ordinaire de la vie, Antoine en eût été remué, en dépit de son féroce égoïsme, au moins dans son amour-propre de frère et peut-être dans ce qui lui restait de cœur. Il y a dans les fautes d’une jeune fille, quand elle n’est pas simplement une vicieuse, une part de fatalité qui la rend si pitoyable de les avoir commises ! Elle a beau avoir, comme une Julie Monneron, suivi tous les cours de morale et de psychologie, d’histoire philosophique et de