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L’ÉTAPE

— « Je ne crois rien, » répliqua la jeune fille, « sinon que je ne demanderai pas d’argent à M. de Rumesnil… »

— « Même si j’avais dans la main la preuve de votre intrigue ?… » dit Antoine, et, avant que Julie eût pu l’en empêcher, il s’était saisi du buvard, en ajoutant : « Et que je la montre au père ?… »

— « Montre-lui cette lettre, si tu veux, » répondit-elle. « Après le faux et le vol, le chantage ! C’est complet… »

Ses bras étaient toujours croisés sur sa maigre poitrine, sa tête toujours défiante. Un frémissement de dégoût avait seul relevé les coins de sa bouche. Devant cette immobilité méprisante, Antoine eut-il honte, ou bien pensa-t-il que la lettre commencée n’était pas pour Rumesnil ? Toujours est-il que, reposant le buvard sur la table, il dit :

— « J’ai voulu te faire peur, voilà tout. Tu n’as pas plus de cœur que Jean…  »

Puis, employant une nouvelle forme de menace, mais sans se douter lui-même de son degré d’action sur la malheureuse enfant :

— « D’ailleurs, puisque tu me refuses cette démarche, je me passerai de toi. J’irai chez Rumesnil moi-même. C’est une humiliation que tu aurais pu m’épargner. Je la supporterai. Je n’en suis plus là !… »

— « Tu ne feras pas cela,…» s’écria la jeune fille. Cette fois, il vit qu’il avait réussi à la toucher vraiment et à la place sensible. Devant cette soudaine