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LES FRÈRES ET LA SŒUR

— « Et Jean le sait aussi ? » demanda la jeune fille.

— « Il le sait aussi, » répondit Antoine, « mais lui, il a été infâme. Va, je ne te souhaite pas d’avoir jamais besoin de sa pitié… C’est pour cela, parce que je n’ai rien trouvé dans son cœur, que je suis venu me jeter dans le tien. Julie, ma chère Julie, que je suis malheureux !… » Il avait pris sa tête dans ses mains, et il répétait : « Que je suis malheureux ! La prison, les assises, le bagne !… Mais je n’irai pas. J’ai de quoi m’en préserver. Je n’irai pas !… »

La funeste décision d’un désespéré, qui détient dans les chambres de son revolver un sûr moyen de ne pas survivre au déshonneur, émanait de toute sa personne. Sa sœur, — elle le connaissait cependant, — n’en fut pas moins la dupe de cette mimique, qui n’était pas tout à fait menteuse. Elle s’élança vers le comédien, et, lui saisissant les mains, elle le suppliait :

— « Antoine, jure-moi que tu ne penses pas à te tuer ? Jure-le !… Mais non, un homme ne se tue pas à ton âge, pour une heure d’égarement ! Voilà donc pourquoi papa était dans cet état à dîner… Tu aurais mieux fait de tout lui avouer. Il te les aurait trouvés, ces cinq mille francs… Il n’y a que lui qui puisse te les avoir. Que lui !… Ah ! si je pouvais, moi ! Si… » Elle s’interrompit de parler pendant un temps très court, mais qui parut interminable au jeune homme. Visiblement une idée lui traversait l’esprit. Quelle idée, sinon